Texte Critique Mars 2010
Rodolphe Cosimi
Critique d'Art
Marie-Rose Atchama fait partie de ces artistes pour qui l’art s’est présenté comme une révélation, une prise de conscience, à un moment où elle ne s’y attendait pas. En résonance intime avec son passé, son expérience, l’artiste découvre dans les voies possibles de l’art, celle d’un voyage intérieur. Elle s’y plonge à corps perdu et nous invite au partage. Si dans son œuvre, l’art, la vie et l’univers s’étreignent, c’est avant tout une réflexion spirituelle qui anime l’ensemble de sa démarche, expression à travers laquelle l’être et le cosmos font trame essentielle. L’œuvre d’art permet à l’homme de pouvoir vivre plus loin. Le message de l’artiste est là, traduit par une recherche profonde, analytique, spirituelle qui tend à ouvrir des passes vers le mystère inouï de la saisie de soi.
Marie-Rose Atchama est avant tout une cherchante. Par le fruit de ses réflexions antérieures et puisant abondamment dans les champs de la psychanalyse, du paranormal ou bien encore de l’astronomie, substance de ses questionnements, elle s’est engagée depuis plusieurs années dans un langage qui se veut un chemin pour l’humain vers sa propre compréhension, à la fois de sa situation existentielle et de son lien étroit avec l’univers. Cette recherche millénaire peut-elle encore augurer une réponse possible? L’œuvre d’Atchama semble s’orienter favorablement dans ce sens. Son travail est imprégné d’une puissance d’évocation : ses mots sont un imaginaire généreux, ses phrases des compositions envoûtantes.
Son langage, codifié, est un cheminement auquel il faudra allouer du temps. Etre attentif sera la condition sine qua non pour que le regardeur puisse, de chaque élément qui compose l’œuvre, recevoir les clefs permettant de déchiffrer les significations des motifs, la portée primordiale des couleurs pour enfin accéder aux messages. Comme elle le souligne, il faut «avoir une maîtrise». Chaque individu s’accomplit par lui-même et la magie d’un dialogue commun ne pourra s’établir que dans un pacte et un voyage de confiance d’où se libéreront tout le symbolisme et la force sémantique. C’est un langage ésotérique qui se joue ici pour faire participer l’humain à l’œuvre. Evoluant depuis les toutes premières toiles aux médiums multiples, prémices d’un vocabulaire pictural très personnel, l’artiste a su agencer son travail jusqu’à aujourd’hui dans une voie de purification de l’image. Ce qui semblait être épars dans l’expression, a été réuni au fur et à mesure du temps. Des techniques mixtes à l’acrylique sur toile, aux collages et sable sur carton, des huiles au couteau aux encres de chine sur papier, l’inspiration est sans limite, fenêtre possible sur d’autres univers.
Atchama trace un sens de la lecture, sort du terrain expérimental pour équilibrer les rythmes, enclore la lumière à l’intérieur des couleurs, capturer le monde et dénouer ses énigmes. Tels des pantacles, les œuvres récentes comme La corde d’argent ou bien encore Le jeu d’attirance, agissent comme des outils d’influx. L’œuvre d’art est ici proposée comme un émetteur fluidique, dans la valeur symbolique et magique des motifs qui y sont inscrits. L’artiste avance avec un intérêt fondamental dans la couleur comme dans tout autre champ exploratoire qui semblerait infini. Ce que le verbal ne pourrait saisir est finalement sauvé par la couleur. Marie-Rose Atchama veut agir par elle-même, afin que le regardeur soit, dit-elle «confronté pleinement pour pouvoir comprendre». Si «la couleur est un moyen d’exercer une influence directe sur l’âme» comme l’évoquait Kandisky, l’artiste Atchama emplit chacune de ses toiles d’une sorte d’ivresse chromatique. Les jaunes vifs côtoient les verts ou bleus plus calmes, les rouges intenses captivent alors que les noirs profonds entraînent dans le silence éternel. Ces couleurs correspondent entre elles pour aboutir à un grand éclat, divisées dans une unité, selon des contrastes parfois forts, ou bien au contraire suivant des nuances plus subtiles afin que les messages soient guidés en variation. Toutes ces choses de la vie, de la conscience et de ce qui peut la dépasser, tout ce que l’artiste a pu percevoir devient sa préoccupation majeure qu’elle souhaite désormais transmettre dans un cycle sériel. Ainsi, chaque couleur, en réponse à une autre, agit pour assurer ce déclenchement d’évènements psychiques et assurer le rôle de passerelle, de pont avec l’indicible.
L’artiste enfante formes, matières, équilibres, géométries, quadrillages, rythmes qui, bousculant l’inertie de nos conditions tendent à devenir un phénomène visuel par lequel le tableau entre désormais dans l’espace du regardeur. Divisant le cercle, l’agençant méticuleusement, le multipliant, le divisant, souvent en touches kaléidoscopiques, Marie-Rose Atchama inscrit également sa volonté d’agir sur la perception de l’œil, dans le souci de conduire le regard dans un tourbillon insaisissable, au-delà du compartimentage, dans les spirales de la connaissance et dans l’essence universelle. Le choix d’un module circulaire central renforce cette optique et cet objectif dont le rythme visuel produit l’introduction d’un cinétisme, celui de la vibration de l’âme. Nourrie d’interrogations, l’œuvre laisse néanmoins place aux nôtres propres, celles-là mêmes que l’on retrouvera dans une abstraction géométrique proche de la cartographie d’un macrocosme.
Rien dans l’œuvre n’est placé au hasard, tout dans le tableau est construction. Le point devient carré, la lumière se concrétise en un rond magique, les croisements de lignes, sources d’énergies, tendent vers l’étoile, puis vers la croix, leurs alternances créent des combinaisons harmonieuses, presque métaphysiques. Ces articulations de motifs qui rappellent celles des civilisations immémoriales, renforcent les potentialités expressives. Une lumière rayonne depuis le centre, un élan à la portée de celui qui saura percevoir les signes, leur fonctionnement, leur résonance intérieure.
Equations existentielles, les œuvres de Marie-Rose Atchama tentent d’ancrer la nature humaine dans un langage parallèle, afin de nous mener à une compréhension de notre place dans l’univers, grâce à un art qui nous évite de fuir.
Rodolphe COSIMI